Son regard vide fixait un point une tâche au loin. Elle attendait. Ses yeux bleus étaient dénués de joie. C’est triste pour une enfant de neuf ans. Ses cheveux bruns étaient emmêlés, elle n’avait même pas prit la peine de se les brosser avant de venir. Sa petite robe noire était froissée, ses ballerines de la même couleur avaient leur bout arraché. Elle était aussi détruite de l’extérieur qu’elle ne l’était de l’intérieur. Son visage n’arborait aucune expression, elle ne faisait qu’attendre. Attendre que son père soit sous terre, qu’elle puisse retourner dans sa chambre et laisser les larmes couler.
Car cet enfant avait un cœur. Mais elle n’aimait pas l’amour.
*
Le garçon la dévisageait, intrigué. Que faisait cette jeune fille de quatorze ans, un joint à la main ? Son regard triste était remarquable. Mais elle semblait posséder une autre force, comme si elle avait tout subit, que plus rien ne pouvait plus désormais l’atteindre. Adossée à une fenêtre, elle avait le joint dans une main, la bouteille dans l’autre. Alors, le garçon décida de l’aborder. C’étai un gentil garçon à l’allure douce. Du genre de ceux qui ne faisaient jamais rien de mal. Un simplet. Il plongea ses mains dans poche, et le dos un peu courbé, arriva enfin à sa hauteur. La jeune fille ne le regarda pas, elle se contenta juste de porter la bouteille presque vide à ses lèvres. Elle était troublante, se dit-il. Elle possédait un charme certain, et il y avait comme un aura autour d’elle. Un mauvais karma. Alors, il la contempla un moment en silence. Elle était habillée d’un long tee-shirt lui arrivant jusqu’au milieu des cuisses. Il était à l’effigie d’un groupe de rock à la mode, du genre crash, et soulignait ses légères courbes. Elle portait une paire de collants noirs, troués par endroits, et des petites ballerines bleues électriques dont la couleur rappelait son regard. Il eut du mal à détacher son regard du tee-shirt tellement il était à l’encontre de ce qu’il avait toujours connu, mais il ne tarda pas à se mettre à détailler son visage. Un joli nez. Fin, tout comme ses lèvres roses. Mais ce qu’il appréciait le plus sur ce visage, c’était les yeux qu’elle possédait. Ils possédaient un genre de beauté métallique qu’il ne pu que remarquer. Il haussa encore un peu les sourcils, et quand elle détourna enfin le visage pour rencontrer son regard, il sentit son cœur manquer un battement. Idiot. La jeune fille ouvrit un peu les lèvres, comme si elle allait se mettre à parler. Mais elle se ravisa. Le garçon attendit, ne pouvant fuir le regard troublant. Finalement, elle éleva la voix, et lui demanda :
«
Que veux-tu ? Le joint ? La bouteille ? Ou moi ? »
Le garçon ne s’attendait pas à ça. Elle avait été franche, directe. Quelque chose qu’il appréciait mais qu’il le surprenait.
«
Je ne veux rien. »
Elle leva les yeux au ciel.
«
C’est-ce qu’ils disent tous. »
Et, avant qu’il ne puisse répondre quoique ce soit, elle se retira de son appui, s’approcha de lui et plongea son regard dans le sien.
«
Tu es comme eux. Ils sont tous comme ça. »
Elle fit volte face, et repartit dans le sens inverse. Laissant le garçon perplexe, se remémorant la scène tout en se demandant ce qu’il avait fait de mal.
*
La fumée s’échappa de sa vue et il pu enfin revoir ses yeux. Il y plongea sans aucune hésitation et elle lui rendit son sourire. Elle lui prit alors des mains la cigarette et la porta à ses lèvres. Ses gestes trahissaient une familiarité avec le petit objet toxique. Il haussa un sourcil, aimant l’attitude de la jeune fille. Il plongea alors sa main dans ses cheveux et la jeune fille rehaussa le visage pour mieux percevoir la détermination qui brillait dans les yeux du beau brun. Elle acquiesça calmement de la tête, et attrapa ses lèvres des siennes avec une rapidité déconcertante.
*
La tête posée sur sa table, elle avait les yeux fermés. Le cours d’histoire était certainement le plus décourageant de tous les cours dispensés dans ce lycée. Dormant à poings fermés, la fille d’à coté lui jetait des coups d’œil furtifs, avec une pointe de colère dans les yeux. Elle allait avoir des problèmes si Mr Varner la découvrait dans cette position. Mais elle ne pouvait rien faire, elle ne l’écoutait jamais de toute façon. Cette fille était une solitaire qui faisait toujours comme bon lui semblait et qui semblait plus intelligente que quiconque à son petit air hautain et supérieur. Elle portait des vêtements qui la démarquait toujours de ses petits camarades, vêtements que sa voisine de classe lui enviait terriblement. Souvent beaucoup de noir, avec des couleurs parfois très vives genre jaune ou rose fluo. C’est sûr, cette fille-là avait des goûts bien spécifiques. Elle n’hésitait devant rien et c’Est-ce qui l’avait perturbé la première fois qu’elle avait osé lui adresser la parole. Elle eut raison ; la jeune fille ne lui avait même pas répondu. Elle semblait se foutre de tout, n’avoir aucun but et errer à l’inconnu dans une vie qui semblait n’être qu’un long chemin noir semé d’embûches. Elle finit par se retourner, jetant un regard au professeur qui venait juste de remarquer l’endormie. Alors il s’avança dans l’allée, s’arma de sa règle en plastique, et tapa brusquement sur l’épaule de celle qui avait été emportée par Morphée. Celle-ci se réveilla en sursaut, les yeux plissés. Le professeur éleva la voix :
«
Mademoiselle, vous feriez mieux de dormir la nuit au lieu de vous amusez à foutre votre vie en l’air ! »
Ce à quoi elle répondit du tac au tac :
«
Je ne vois pas en quoi s’envoyer en l’air me fout ma vie en l’air, monsieur. »
«
Je ne tolère pas ça dans ma classe, jeune insolente ! »
«
Désolée… j’avais oublié que ça faisait longtemps que vous n’aviez pas testé. »
«
DEHORS ! »
«
Avec plaisir ! »
Elle adressa un sourire à son professeur et attrapa son sac, qui n’avait même pas été ouvert, et le mit sur son épaule. D’une démarche tranquille, elle sortit de la classe et se dirigea immédiatement vers les toilettes, par habitude. Elle entra dans ceux réservés aux filles et sortit son briquet et son paquet de cigarettes avant de s’en allumer une. Elle ferma les yeux sous l’effet du plaisir quand l’air toxique lui traversa les poumons. Elle aurait bien continué ainsi plus longtemps si seulement…
TULUUUUULUUUUUUULUUUUU.Alarme.
«
oh-oh »
*
«
Je t'aime ! »
«
Va te faire foutre ! »
*
Assise sur son lit, en tailleur, la jeune fille se prenait la tête entre les mains, victime d’une affreuse migraine. Nous étions en 2050. Elle était brune, aux yeux bleus emplis de détresse, le noir qui soulignait ses grandes pupilles ne faisait qu’accentuer cette faiblesse. Ses vêtements, noirs également, agrémentés d’accessoires flashy, démontraient également à quel point elle était abandonnée. Sa chambre était petite, et puait la cigarette.
Soudain, un portable vibra sur le lit.
La jeune fille se redressa, mains toujours posées sur les cotés de son crâne. Finalement elle d
Prit l’objet entre ses mains et décrocha.
«
Hm ? »
«
Willie ? »
«
Hm. »
«
Mais qu’est-ce que tu fous ? Ça fait genre trois ans qu’on t’attend ! C’est toi qui devait ramener les joints, tu te souviens ? Et là on est comme des cons, à attendre une fille qui se fout de notre gueule! »
«
La ferme, tu parles trop fort ! »
«
Quoi ? »
Willie passa le dos de sa main sur ses temps, brûlantes.
«
TA GUEULE, TU PARLES TROP FORT, TRISO ! »
«
Eh ma grosse faut arrêter les médoc’, j’parle pas fort, alors maintenant tu ramène ton cul sinon… »
Elle raccrocha. Sa tête lui faisait trop mal. La voix d’Edwin avait été bien trop forte, elle n’arrivait même plus à entendre ses propres pensées. La fille jura, se rallongea sur son lit, et s’alluma une cigarette, pensant appeler ses souffrances. Le briquet enflamma le bout de la saloperie qui la bouffait de l’intérieur et elle prit une taffe.
Alors, la porte s’ouvrit. Femme blonde, la quarantaine, des cernes violettes profondes en dessous des yeux, au teint cadavérique.
«
Chérie, t’aurai pas un peu de vodka ? »
Willie se redressa, croisa le regard de la femme et lui répondit d’un ton lassé, détendant ses muscles contractés par la douleur qui s’était propagée dans toute sa tête.
«
Si, bien sûr, maman. »
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