ConeyIslandBaby (uc)

Debbie Dee est un super héros. Elle peut piquer la batmobile de son pote Bruce pour impressionner tes amis. Elle peut étrangler le Joker sans les mains et forcer le Bouffon vert à manger ta pelouse. Elle peut faire marcher le professeur Xavier (dans les deux sens du terme - elle survole tous les concepts médiocres tels que la grammaire, la sémantique et les lois élémentaires de la nature). Debbie Dee a un flingue et elle peut voir ta mère en slip.
Ceci expliquant peut-être cela, Debbie Dee naquit face à miroir avec un Smith & Wesson "32 Hand Ejector" au poing gauche. Du moins, c'est ce que veut la légende. Selon la légende toujours, le père de Debbie Dee serait Jésus, ou Darth Vader, ou l'épicier de Carter Street - les versions divergent sur ce point - mais l'hypothèse la plus plausible reste, n'en déplaise à certains, celle du facteur. Peu importe la biologie, par ailleurs, puisque Debbie Dee a rapidement trouvé un père de remplacement - et cette fois-ci, il n'est plus question de Jésus, ni de Darth Vader ni d'épicier, mais plutôt du diable en personne.
La mère de Debbie Dee s'appelle Lennie (Leonor) Dee. Elle a moins de poitrine que sa fille mais son réseau social s'étend de l'Olympe aux catacombes (il ne faut jamais sous-estimer les femmes à petits seins). Lennie Dee est très jolie et très débrouillarde. Elle est aussi très orgueilleuse, et encore plus depuis quelque temps : comme si quelque chose flottait dans l'air. Lennie Dee a mis au monde neuf enfants, qui ne l'ont guère empêchée de retrouver sa taille de sylphide (ni, d'ailleurs, ses seins minuscules - bref). D'aucuns prétendent que l'ambition secrète de Lennie Dee serait de créer une armée de bâtardes afin de prendre le pouvoir sur la ville et de faire régner sa loi à coups de Smith & Wesson. Là encore, à vous de distinguer légende urbaine et réalité.



o1.
londres et le syndrôme de stockholm : une autre journée d'été
chloe dee, neuf ans

« Quand je suis entrée dans la pièce sombre, l'obscurité m'a sauté au visage. La seule lumière provenait d'une légère fente sous les volets clos, qui diffusait le blanc du dehors en une traînée vive et intense. J'ai mis quelques instants à distinguer Lennie, ou plutôt l'ombre de ce qui devait être Lennie, étendue dans les draps défaits. Elle n'a effectué aucun mouvement qui aurait pu laisser penser qu'elle m'avait vue, ou entendue entrer. Mais c'était une sorte d'habitude chez elle : Lennie n'a jamais fait attention aux gens. Je me suis approchée du lit, les yeux fixés sur ma mère qui, comme à son habitude, regardait l'immense miroir derrière moi. Ses longs doigts doux se promenaient pensivement sur le crâne du nouveau-né – ou, plus probablement, de la nouvelle-née : Lennie n'a jamais engendré que des filles – qui venait de s'extraire de son ventre après des mois d'attente. J'ai murmuré deux ou trois choses sans importance, et elle a paresseusement abaissé ses paupières, plusieurs fois de suite (c'est sa façon de battre des cils). Moi, je la mangeais du regard, et elle, se mangeait du regard par le biais de la glace dans mon dos (les miroirs : ces sésames qui permettent à ma mère d'entrer dans le merveilleux monde parallèle de ses mille et un reflets). Tout était tellement lascif, et calme, et lourd, dans cette chambre, que je croyais percevoir de la sueur suinter des murs. J'ai fini par poser la bassine sur le sol poussiéreux avant de m'approcher pour éponger le front de Lennie. Un accouchement n'est jamais de tout repos ; même quand il s'agit déjà du troisième. C'est lorsque je me suis penchée un peu plus en avant que j'ai réalisé que le bébé ne dormait pas le moins du monde. Mieux que ça : ses grandes pupilles neuves restaient posées sur sa mère – notre mère – avec, dedans, la même lueur d'adoration que celle qu'on pouvait déceler dans nos pupilles, à Charlie et à moi.

J'ai entendu une voiture passer dans la rue voisine, et des enfants crier. La journée suivait son cours normal. Il serait bientôt seize heures. Et à ce stade j'ai compris une chose : venue au monde depuis quelques dizaines de minutes, ma soeur cadette – qui deviendrait "Debbie" – était déjà plus attachée à ma mère qu'un crabe à sa plage natale. Lennie m'a adressé un lent mouvement de lèvres, comme une bise claquée dans le vide, et je suis sortie. »