Amador Abt Steinmetz, dit Brixton { The wrathful judge

Amador Abt Steinmetz
dit Brixton
The wrathful judge

On m’appelle Brixton. Parce qu’ici, je suis le roi. Je connais tous les petits gangsters de pacotille, tous les macs et leurs putes, je connais même ceux qui n’ont pas d’histoires. Je connais tous les cadavres dans les placards et si ils ne sont pas très bavards, ils me sont bien utiles. Je ne suis pas une terreur, je suis un homme, que les hommes, les femmes, les enfants, les vieux adorent. Ils y sont obligés, un sujet aime son roi, qu’il soit bon ou pas. Il n’y a que les chats et les rats qui n’ont pas l’air de trop m’apprécier, vu comment ils détalent lorsque j’approche. Les poissons eux ont une opinion relativement bonne de moi, car parfois je leur donne un cadavre pour qu’ils puissent pondre leurs œufs entre leurs côtes une fois qu’ils auront avalés tout la chair qui les recouvrait. Le reste rampe par terre à mes pieds. Brixton, c’est moi. Il surpasse mon nom de famille et dans la haute société, je ne suis connu que sous le surnom de Brixton. Parce que la haute société, c’est moi. Je suis juge et ma justice à moi, elle est simple. Récompense les méchants et punit les valeureux. Car les valeureux sont plus dangereux que les méchants, qui une fois ont une dette envers vous, sont obligés d’être à votre botte. Les valeureux, ils sont juste bons à dénoncer vos magouilles. Mais des magouilles, tout le monde en fait, n’est-ce pas ? Ainsi, en mettant tous les bons derrière les barreaux, je permets à la ville de vivre librement, sans aucune oppression, sans aucune peur d’être dénoncé, à part par moi. Je suis Brixton, le bon le plus dangereux de cette ville.

¤ ¤ ¤

Brixton ? Je sais tout de lui. Son passé, et même son groupe sanguin… Information que tous cherchent à savoir à présent. C’est que la justice ne peut se permettre d’être autre chose que vertueuse. Pourtant, il est bien loin d’être quelqu’un de pur. Il est arrivé de Russie avec ses deux parents, alors qu’il avait trois ou quatre ans. Il n’a aucun souvenir de sa terre natale. C’était des exilés politiques, et ils furent rapidement nationalisés anglais. Son père était juriste et certainement qu’il a donné toutes les clés du métier à son fils, pour qu’il ait une telle ascension au sein de la juridiction anglaise… Mais on l’a bien aidé, il sait quelles ficelles tirer, Brixton ! Son seul but dans la vie, c’est d’aller de plus en plus haut. Faites gaffe à vous, il est capable d’éjecter n’importe qui de son poste, c’est un sacré gaillard. Enfin bon, passer son enfance dans un des quartiers les plus pauvres de Londres l’a bien aidé, c’est devenu un juriste doublé d’un brigand et dans le métier, ça sert. Il n’a pas fait de grandes écoles. Pas assez d’argent, mais a commencé dans un petit cabinet d’avocat miteux. Sans diplômes ! Et des diplômes, il n’en a toujours pas d’ailleurs. Il n’en a pas besoin. Il lui suffit juste d’un bon code civil, de ses mots et de ses oreilles. C’est quelqu’un qui a la tête froide. Quand ses parents sont morts, à quelques mois d’intervalle, je ne l’ai pas vu verser une seule larme. Je ne dit pas qu’il ne ressent aucune émotion, non, mais il fait son possible pour donner l’image d’un homme dur comme un roc. Mais c’était avant, tout ça. Ces derniers temps, il pique d’étranges colères, énormes. Je sais pourquoi, et certainement vous vous en doutez, mais cela doit rester secret. S’il tombe maintenant, la moitié de la ville tombe avec lui. C’est pour ça que personne ne dit rien. Et il en a conscience, Brixton, de sa maladie. Il sait à quel point cela peut le nuire et nuire à ceux qui l’entourent. En plus, Alyssa vient de le quitter. Elle pense que c’est la bonne solution, ben pas moi. Il a besoin de soutien, vous savez. Alors moi, je reste là. Je me fiche qu’il frappe. Mais ce n’est pas une colère comme on a l’habitude de voir. C’est plutôt une colère désespérée. Cela finit en crise de larmes. Il fait son possible pour ne pas craquer en public, mais un jour ou l’autre cela arrivera. Trente-quatre ans, pas de diplômes, juge respecté par tous… C’est un élément important pour notre société, vous savez. Surtout pour nous, car il sait tout et si il se met à balancer, on est mal.

¤ ¤ ¤

¤ ¤ ¤

Tic tac tic tac dring dring, le réveille sonne et l’homme se lève. Tic tac tic tac dring dring, à une seconde d’écart celui de sa femme sonne. Pourquoi ne pas en prendre un simplement pour deux, au lieu de se réveiller deux fois ? Parce que c’est comme ça, ça a toujours été ainsi et rien ne changera. Mais cette fois, le réveil de sa femme continue de sonner. Aucune main ne s’est abattue dessus pour l’éteindre. Un geste mou, encore endormi. Rien. Dring dring dring ! Il manque quelque chose dans cette pièce. L’homme, abasourdi, a dormi tout habillé. Il a encore ses chaussures au pied. Il a la mine bien grise, et ses yeux d’un bleu délavé semblent encore plus transparents, tant de larmes ils ont versés. Pii pii, pii, voilà celui de son fils qui se met à sonner. Lui non plus ne s’arrête pas. Tous sonnent en même temps, tous sonnent la même heure différente. Dans deux minutes ce sera celui de sa fille, puis ce sera les gémissements de la petite dernière qui réclamera les bras de sa mère. Mais non, ce matin, il n’y aura pas de pleurs. Juste des réveils qui sonnent dans le vide. Pour compléter la mélodie, l’homme réenclenche le sien. Tic tac tic tac tic tac dring dring pii pii tic tact tic tac dring dring pii pii, les sons se superposent en un vacarme assommant, cachant de cette façon les gémissements de l’homme qui à présent pleure, seul dans son appartement. Ce qui manque, dans cette pièce, c’est sa femme. Ce qui manque, dans cette maison, ce sont ses enfants. Ce qui reste, c’est lui.

¤ ¤ ¤

J’étais son épouse, sa femme. Il m’a aimée et a aimé ma fille, comme un époux et comme un père. Je n’avais rien à lui reprocher, jusqu’au jour ou il a subitement changé. Amador est de rhésus +. J’aurais aimé que la maladie l’épargne, mais non, et son état à empiré. Déjà avant il était colérique, à présent c’est pire. L’horreur, c’est qu’il s’en rend compte mais ne peut rien faire. Avant déjà on le craignait, maintenant on cherche à le faire taire parce qu’il devient une véritable menace, trop grande, bien plus qu’avant. C’est qu’à présent, Amador pourrait lâcher au grand jour tout ce qu’il sait, sans que pour autant, on lui ai fait du tort. Juste comme ça, dans un tremblement de colère. J’ai pris la décision de me séparer de lui quand pour la première, et j’espère la dernière fois, il a levé la main sur moi. Parce que j’avais osé lui faire une remarque… Une simple remarque sur le fait qu’il devrait passer moins de temps au travail et plus de temps auprès de sa famille. Et oh, quelle colère ! Il s’est subitement levé, à proféré de telles paroles… Que c’est lui qui nous faisait vivre, qu’il se tuait à la tâche pour nous et que je n’avais pas à la ramener… Et des insultes. Maddy, notre petite dernière s’est mise à pleurer. Il s’est dirigé vers elle, j’ai eu peur et me suis mise au travers de son chemin, je ne savais pas ce qu’il allait faire… Il m’a frappé. Pas une claque, non, un véritable coup de poing, dans les côtes, j’en ai eu le souffle coupé. C’est que, malgré sa petite taille, son mètre soixante cinq, il a de la force. Il a tourné les talons en voyant que je pleurais et s’est enfermé dans son bureau. Le lendemain il s’est excusé mais… Cela n’a pas suffit. J’ai peur à présent, vous savez. Peur qu’il lève encore la main sur moi ou sur l’un de nos enfants. Je l’aime encore, de tout mon cœur, mais la peur est là et me ronge. J’espère qu’on trouvera un remède à cette fichue maladie ! C’est un homme bon, avec des plaisirs simples. J’imagine que même sans moi, il continue de jouer aux jeux vidéos en mangeant de la glace. J'espère qu'il restera humain.